
Maître des lieux
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Crochet de tension
Le 07 juin 2013, via ma boite mail, je reçois ce message :
Bonjour.
Je suis ethno-archéologue et membre de la MAFSO (Mission Archéologique Française en Sibérie Orientale).
Nous menons depuis 2004 des fouilles sur les tombes gelées de Yakoutie (XVe-XVIIIe siècles). Je suis
notamment chargé de l'étude du mobilier découvert dans ces tombes. Parmi ce mobilier en parfait état de
conservation figurent des selles et des harnachements de chevaux, arcs, flèches,carquois, couteaux,
palmes...etc
Nous recherchons des spécialistes de ces régions et des steppes en général pour nous aider à mieux comprendre ce mobilier.
Merci de me contacter si vous êtes intéressés
Michel PETIT
Conservateur en Chef
Chargé de Mission CNRS
Bien qu'étonné et un peu intimidé, ma réponse est immédiate et affirmative (bien entendu) et ce même si la période concernée est un peu postérieur au Moyen Age.
Je reçois alors par mail , de sa part, un premier rapport, établi en 2012.
Le rapport étant fort intéressant et fort complet, je dois bien avouer que j’en apprends plus que ce que je ne pourrais l’aider.
Néanmoins, après quelques échanges de mails, principalement sur l'archerie, nous ‘remarquons’ qu' un objet de fouille qui se trouve dans le rapport pose quelques questions qui restent ouvertes.
Il s’agit d’un petit crochet métallique que les Yakoutes actuels présentent comme un ‘crochet de tension” (c’est à dire, un crochet qui servirait à bander un arc !!!) mais sans plus d’explications.
Michel Petit et moi-même décidons de se concentrer sur ce fameux crochet afin d’en savoir un peu plus.
Après quelques recherches sur internet et dans ma documentation personnelles, je découvre que le même type de crochet a été découvert dans des tombes sarmates.
En effet, Iaroslav Lebedynsky, dans son ouvrage sur les Sarmates, page 89 nous montre des crochets qu'il défini comme des "crochet de carquois" trouvé dans des tombe de Kara-Oba (kazakhstan et Starryié-Kiichki (Russie).
Mais il précise :"crochets de suspension - si c'est bien là leur usage" et donc, je constate qu’il n’est pas certain de l'usage et qu'il suppose dque c'est un crochet destiné à suspendre un carquois (ou un carquois d'arc).
Plus intéressant encore, je trouve une autre description d’un crochet similaire chez les Huns.
Il s’agit de Michel Kazanski, dans son ouvrage “Les Armes et les techniques de combat des guerriers steppiques du début du Moyen Age (Huns et Avars)”.
Michel Kazanski décrit ces crochets comme des "crochets de carquois".
Personnellement et pour avoir fais un peu d'équitation, ce type de crochet pour suspendre un carquois à la ceinture alors que l'on est à cheval en plein galop me parait peu sûr.
Je reste donc dubitatif, mais, j'ai des réserves à contredire des spécialistes !!!
Néanmoins, si je suis de plus en plus certain que ce type de crochet ne servait pas à suspendre le carquois à la ceinture et que dés lors l'hypothèse de son utilisation pour bander un arc semble se préciser, je n’arrive pas à imaginer la façon de s’en servir.
- Avec une fausse corde ?
- Sans fausse corde ?
- Comment et à quoi fixer le crochet ?
Je tient au courant Michel Petit de mes découvertes et de mes réflexions qui me pousse à continuer mes recherches.
Je décide alors de me concentrer sur les différentes manières de bander un arc.
Je découvre, un peu par hasard, une technique turque qui utilise une sangle tournée autour de la taille.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=BVPs9zRASfU[/youtube]
Source de la vidéo : ce site -> Turkish Fligh Archery
J’en conclu que cette technique pouvait être adaptée avec un crochet attaché à une ceinture.
J’envoie le résultat de mes recherches à Michel Petit qui est séduit par la proposition
Le 06 juillet 2013, alors qu'il est en mission en Sibérie, Michel m'envoie ce mail :
Je pense comme toi que ce type de crochet n'a rien à voir avec des attaches de
carquois. Ton hypothèse me paraît la bonne d'autant plus que Ivan Gogolev,
un collègue yakoute avec qui j'ai discuté de notre problématique a fouillé en 1991
à Oucten Alaas une sépulture dans laquelle un objet de même type a été découvert
accroché par une lanière de cuir de 15cm sur le devant de la ceinture du défunt.
D'autre part, j'ai rencontré un vieux chasseur de fourrures (né en 1923 !) qui m'a indiqué
que son grand père, qui, à l'époque, n'avait pas les moyens de s'acheter un fusil, chassait encore
à l'arc traditionnel et disposait d'un crochet de ce type pour tendre son arme, mais il a été
incapable de m'en expliquer le mode opératoire.
Il me propose de me faire parvenir la copie du crochet qu’il a fait réalisé par un artisan afin que j’essaye la technique en situation réelle.
Je reçois donc le fameux crochet et me met à expérimenter le technique en question.
Le crochet :

Il s'agit de bander l'arc à l'aide d'une fausse corde, elle même, tenue par le crochet qui est lui-même fixé à une ceinture ordinaire.
Je dois bien avouer que je ne suis pas absolument convaincu de la technique que je trouve compliquée et relativement risquée.
Je l'essaye en premier lieu avec mon arc n°2 :
C'est un petit recurve coréen de marque "samik" (45 livres à 28 pouces d'allonge).
De fabrication moderne, il y une forme inspirée des arc à double courbure traditionnel coréen mais avec un type de poupée moderne (et sans siyiah).

Arc débandé

Arc bandé
Je réussi sans mal à bander l'arc avec le crochet.
Ensuite avec mon arc n°1 :
Il est de fabrication et de conception moderne :

Arc débandé

Arc bandé
Sans grand résultat
Puis avec mon arc n°3 :
Il fait 45 livres à 26 pouces d’allonge et ressemble plus aux arcs yakoutes que l'arc n°2

Arc débandé

Arc bandé
Mais avec celui-la, je n'ose pas aller jusqu'au bout de la manipulation, craignant de casser mon arc dans l'opération.
Je photographie et filme l’expérience avec l'arc n°2 afin d' envoyer mes résultats à Michel Petit.
Le crochet fixé à une ceinture :

Je commence à bander l'arc en utilisant une fausse corde (ici la sangle en couleur noir et bleue). La (vrai) corde a déjà été fixée à la première encoche (ici celle de droit sur la photo) :


L'arc est en tension suffisante pour placer la (vraie) corde dans la seconde encoche :

Je détend la fausse corde, l'arc restant bandé par la (vraie) corde :


Il suffi de faire l'opération inverse pour débander l'arc.
Mes conclusions perso sont que même si cette manière de bander un arc me semble compliquée, c'est néanmoins possible par quelqu'un habitué à cette technique.