Les Mongols au Japon.
En ce treizième siècle finissant, l’empire Mongol, le plus vaste qui ait jamais été, est à l’apogée de sa puissance, s’étendant des rivages de la Mer de Chine aux confins de l’Europe orientale.
Au Sud, les vassaux de la maison de Gengis Khan règnent sur Bagdad et le sultanat Turc d’Asie Mineure, tandis que le petit-fils de l’insatiable conquérant étend son bras jusqu’aux royaumes de la péninsule Indochinoise.
Pour la première fois dans l’histoire millénaire de l’Empire du Milieu, les peuples nomades de la steppe asiatique sont parvenus à soumettre l’intégralité de la Chine.
Au témoignage de l’illustre marchant vénitien Marco Polo, Khubilaï Khan, qu’il nomme « le grand sire », est « le plus puissant homme de gens, de terres et de trésors qui fut jamais au monde, du temps d’Adam jusqu’à aujourd’hui ».
Mariant la tradition impériale chinoise aux prétentions mongoles à l’hégémonie universelle, le Grand-Khan réclame l’hommage du Japon en 1263.
Le colonel Farale (1) précise que le fondateur de la dynastie Yuan entend du reste mettre un terme aux raids des wako, les pirates japonais, sur les côtes sino-coréennes. Par deux fois, le régent Hôjô Tokimune, qui parle au nom de l’empereur comme du shogun, oppose aux émissaires de Khoubilaï une fin de non-recevoir. Fidèles à la stratégie qui leur a valu tant de victoires écrasantes, les Mongols entreprennent une reconnaissance en force, en guise de coup de semonce.
En 1274, une escadre appareille, et investit l’Île de Tsushima, dont les envahisseurs chassent la modeste garnison nippone. Le 19 Novembre 1274, la flotte mongole de 900 bateaux et 44.000 soldats et marins débarque bientôt dans la baie de Hakata, sur la côte septentrionale de Kyushu.
Le corps expéditionnaire est composé aux trois quarts de supplétifs coréens et chinois peu suspects de zèle.
Dans un premier temps, les troupes de Khoubilaï sèment la terreur dans les rangs des samouraïs, qui essuient de lourdes pertes sous la grêle de flèches acérées et les projectiles explosifs à base de poudre noire déversés par les trébuchets embarqués sur les navires.
Les guerriers Nippons, qui se font un devoir de décliner leur pedigree préalablement aux combats singuliers, se heurtent à la formidable expérience militaire des Mongols.
Selon Stephen Turnbull (2), ces derniers établissent une tête de pont après avoir repoussé les défenseurs à l’intérieur des terres. C’est au terme de ce succès prometteur que les envahisseurs commettent une erreur lourde de conséquences : Au crépuscule, plutôt que de camper sur la rive, ils regagnent leur flotte, se plaçant à la merci de la tempête qui se lève.
René Grousset (3) loue au contraire la vaillance des combattants japonais, qui auraient forcé l’ennemi à rembarquer au prix d’une résistance acharnée. L’issue demeure identique et incontestée : le furieux typhon fracasse les embarcations et envoie par le fond une bonne part de l’escadre, sonnant le repli. Les quelques survivants abandonnés à leur sort sont massacrés par les samouraïs victorieux.
Le Grand-Khan n’a cependant pas dit son dernier mot. La défaite finale des Song en Chine du Sud lui livre leur flotte nombreuse.
En 1281, deux immenses armadas, que les chroniques prétendent fortes en tout de près d’un millier et demi de bateaux, prennent la mer, emportant à leur bord 45 000 mongols et 120 000 auxiliaires sous le commandement du général Arakhan.
Dans l’intervalle, le régent Hôjô a pris des dispositions visant à prémunir l’archipel d’une nouvelle invasion. Les plages les plus vulnérables sont désormais ceintes d’un rempart de pierres adossé à un remblais, le genkôrobi, tandis que les gouverneurs des provinces littorales sont tenus de parer à toute éventualité.
Cette fois, l’envahisseur est attendu de pied ferme. Les retards et conditions climatiques interdisent aux deux contingents d’opérer la jonction initialement prévue avant l’assaut.
C’est donc en ordre dispersé que les Mongols et leurs alliés touchent terre, à Hakata de nouveau ainsi qu’en plusieurs autres lieux des côtes de Kyushu, tous le théâtre d’escarmouches sanglantes.
Les samouraïs, qui ont tiré les enseignements de la précédente tentative, s’efforcent d’empêcher le débarquement en masse des assaillants.
Depuis leurs frêles esquifs, les guerriers japonais se ruent à l’attaque des jonques ventrues, engageant ici des féroces corps à corps, encourageant là une mutinerie des équipages coréens ou chinois.
La nuit venue, ils projettent des brûlots contre les navires ennemis, que les Mongols ont eu le tort d’arrimer à l’aide de lourdes chaînes, favorisant ainsi la propagation de l’incendie.
Les envahisseurs sont bientôt contraints de gagner l’îlot de Shima, relié au rivage par un isthme étroit où la bataille fait rage.
De toute part, les combattants nippons luttent sans merci, rivalisant de bravoure et de ruse, comme en témoigne le fait d’armes d’un certain Kono Michiari, qui réussit l’exploit de capturer un capitaine mongol leurré par une feinte reddition, après avoir abordé son vaisseau.
Au soir du 15 août, un second typhon frappe les côtes Nord de l’archipel. Durant deux jours, les vents en furie dévastent les escadres mongoles mouillées dans les baies. Le célèbre Kamikaze, dont se réclameront bien des siècles plus tard les pilotes suicidaires de la Seconde Guerre Mondiale ; le « Vent des dieux » appelé de leurs vœux par tous les
temples du pays, s’est levé pour abattre les téméraires envahisseurs.
Le déluge s’achève sur une véritable hécatombe dans les rangs du corps expéditionnaire, dont le gros des forces est resté agglutiné sur le pont des bâtiments, lesquels sont fréquemment des embarcations à faible tyran d’eau vouées au commerce fluvial, que la forte houle fait chavirer sans peine.
Aux dires de Turnbull, un tiers des Coréens, mais surtout plus des deux tiers des combattants Chinois et Mongols périssent dans la catastrophe. La flotte est anéantie. Les rares navires encore en état de naviguer se hâtent de faire voile vers le continent, laissant derrière eux des milliers de guerriers que les samouraïs passent par les armes, n’épargnant que les Chinois, au nom de la vieille amitié unissant les deux peuples. Khoubilaï Khan renonce définitivement à la conquête du Japon.
Sources :
(1) De Gengis Khan à Qoubilaï Khan, Dominique Farale, Economica, 2006
(2) Genghis Khan & the Mongol Conquests, 1190-1400, Stephen Turnbull, Osprey
Publishing, 2003
(3) L’empire des steppes, René Grousset, Bibliothèque historique Payot, 1965