Les Alains et les MongolsIntroduction :Pour rappel, Le premier contact entre les Alains et les Mongols gengiskanides se situe en 1222, dans le Caucase et est une conséquence presque fortuite de leur conquête du
Khârezm, le grand État musulman turco-iranien d'Asie centrale (voir la
Grande chevauchée de Subotaï).
Ces Alains, qu'Ibn al-Athîr (un historien arabe sunnite né en 1160 à Cizre et mort en 1233 à Mossoul) décrit comme un 'peuple nombreux', s'assurèrent du soutien des
Kiptchaqs (ou Coumans) et tentèrent d'arrêter les Mongols.
La première bataille entre les Mongols et les Alains alliés aux Kiptchaqs fut indécise.
En effet, les Alains devaient représenter un formidable adversaire pour ce corps expéditionnaire mongol certes nombreux, mais coupé de ses bases et qui combattait sans interruption depuis des années.
Les Mongols eurent alors recours à la ruse (ou à leur diplomatie).
ils prirent langue avec les Kiptchaqs et, selon Ibn al-Athîr, leur tinrent ce discours :
« Nous sommes de la même race que vous, mais ces Alains ne sont pas des vôtres, et vous n'avez pas de raison de les aider, votre foi n'est pas semblable à leur foi ; et nous jurons que nous ne vous attaquerons pas, mais que nous vous apporterons de l'argent et des vêtements, autant que vous en voudrez. Laissez-nous seuls avec eux »Les Mongols devaient effectivement traîner un riche butin depuis leur campagne au Khârezm et certainement de quoi acheter quelques chefs kiptchaqs.
Les arguments ethniques et religieux qu'ils avançaient sont également intéressants à analyser. Ils démontrent par exemple que les Kiptchaqs devaient être, à cette époque, majoritairement païens face aux Alains chrétiens
Leur culte typiquement altaïque du Tangri, le ciel bleu divinisé, pouvait les rapprocher des Mongols.
L'allusion à la 'race' est également intéressante.
Certains Kiptchaqs pouvaient présenter des traits asiatiques, on sait aussi qu'il parlaient une langue turque et que de nombreux Turcophones composaient les armées mongoles.
On sait aussi que les Kiptchaqs gardaient encore une culture dite 'cavalière et nomade' proche des Mongols et que les Alains, sédentaires depuis longtemps, avaient perdue.
Quoi qu'il en soit, les Kiptchaqs furent séduit et abandonnèrent leurs alliés.
Seuls face aux Mongols, les Alains furent battus.
Puis, les Mongols se retournèrent contre les Kiptchaqs et les écrasèrent à leur tour (1222).
La seconde fois que les Mongols font face aux Alains se situe lors de la 'campagne' militaire de 1235.
En effet, en 1235, le khan
Ogodaï, qui avait succédé à son père, Gengis-Khan, décide d'achever la « conquête du monde » et lance une formidable armée à la conquête de l'Europe.
Les Mongols s'emparent, entre 1236 et 1241, de toute l'Europe orientale, où ils furent d'emblée désignés par le nom de 'Tatars'.
Dès 1236, la
'Bulgarie de la Volga' est rayée de la carte.
On note la présence d'Alains sur la Volga. Il s'agissait apparemment d'un groupe lié aux Kiptchaqs, comme ceux signalés au XIème siècle sur le Don.
Peut-être des descendants d'Alains que les
Khazars avaient pu installer dans la région.
En 1237, les Mongols attaquent les principautés de Ruthènes septentrionale (l'actuelle Russie avec les villes de Riazan, Kolomna, Moscou, Vladimir, Rostov...). La même année, ils battent les Tcherkesses du Caucase du Nord-Ouest.
En 1238, ils infligent une nouvelle défaite aux Kiptchaqs.
En 1239-40, c'est le tour de la Ruthénie méridionale, l'actuelle Ukraine.
La conquête de l'Alanie caucasienne s'intercale chronologiquement entre les campagne militaires de la Ruthénie septentrionale et de la Ruthénie méridionale.
A l'automne 1238, une nombreuse armée mongole, sous les ordres de
Möngke Khan,
Güyük et
Qada'an, fut dépêchée vers l'Alanie. Elle est équipée de machines de siège et donc préparée à attaquer des villes.
On connaît quelques détails des opérations par les historiens persans,
Rachîd ad-Dîn et
Ata-Malek Jovayni ainsi que par des sources sino-mongoles. Malheureusement, les chronologies qu'ils donnent ne concordent pas toujours et Ata-Malek Jovayni paraît peu fiable sur certains points.
Il semblerait que durant l'hiver de 1238-39 ou de 1239-40 (la première date est jugée plus probable par une majorité d'historiens), les Mongols s'emparent d'une grande ville (la 'ville des Asses').
Malheureusement et même si les différents noms cités font penser à Magas, capitale de l'Alanie, cette ville n'est pas identifiée avec certitude.
Le siège aurait été conduit sur une grande échelle, avec percement d'une voie où pouvaient passer trois ou quatre chariots de front et usage intensif des machines balistiques.
L'historien Ata-Malek Jovayni ajoute:
« rien ne demeura de la cité que les insectes qui lui ont donné son nom » La seule source émanant directement des conquérants (l'Histoire secrète des Mongols) dit qu'après avoir franchi la Volga et l'Oural, ceux-ci détruisirent Meget, massacrèrent les Ruthènes et pillèrent tout jusqu'à ce qu'il ne restât que miettes. Ils soumirent les Alains, les Sasud, les Bulgares, les habitants de Kiev..
Un autre point très intéressant, signalé dans l'Histoire des Yuan (le Yuan shi),est la participation d'Alains au siège de la ville.
L'un d'eux, du nom de Mataersa, commandait même l'avant-garde des assiégeants. Ses frères Baduer et Wuzuoer Buhan s'étaient également ralliés aux Mongols.
Ce détail nous indique que les Alains, à cette époque, étaient divisés en plusieurs micro-royaumes et qu'ils devaient être en état d'hostilité permanente entre eux.
Les Mongols, qui étaient passés maîtres dans l'art de diviser leurs adversaires, avaient probablement réussi a rallier à leur cause quelques chefs alains qui virent une occasion inespérée de régler leurs comptes avec leurs compatriotes.
Les Alains dans la Horde d'Or :Après la phase initiale de la conquête, l'établissement d'un pouvoir mongol effectif en Alanie semble avoir été long et incomplet.
La partie montagneuse du pays était difficile d'accès pour des formations de cavalerie habituées à manœuvrer dans la steppe. Mais même en plaine, des groupes d'Alains résistaient ou se soulevaient.
En 1246,
Jean de Plan Carpin signale qu'une partie des Alains est encore insoumise et prétend que les Mongols assiègent vainement, depuis vingt ans, une certaine montagne d'Alanie.
Guillaume de Rubruck, ambassadeur de saint Louis auprès de Möngke khan en 1253-54, mentionne à plusieurs reprises la résistance des Alains. C'est d'abord à propos du Caucase :
'Nous avions au sud de très grandes montagnes où habitent, sur les flancs orientés vers cette région déserte, les Cherkis (Tcherkesses) et les Alains (ou Aas), qui sont chrétiens et combattent encore contre les Tartares (Mongols). Les Alains, dans ces montagnes, continuent à résister aux Tartares'. Aussi
Sartach était-il obligé d'envoyer deux hommes sur dix garder les issues des monts pour empêcher les Alains de sortir de leurs montagnes, et d'enlever les troupeaux dans la plaine.
Mais d'autres Alains,appuyaient les Mongols :
«Avant d'arriver à la Porte de Ver, nous trouvâmes un bourg fortifié des Alains qui appartenait à Mangou-Chan (Möngke khan) ». Dans la steppe aussi, des Alains se livraient à la guérilla et au brigandage:
« Des Ruthènes, des Hongrois et des Alains qui sont leurs esclaves (des Mongols) et se trouvent en très grand nombre parmi eux, se mettent à vingt ou trente et s'échappent la nuit avec arc et carquois et tuent tous ceux qu'ils rencontrent la nuit. Le jour, ils se cachent, et, quand leurs chevaux sont fatigués, ils viennent de nuit se servir parmi les nombreux chevaux à la pâture, ils échangent les leurs contre des chevaux frais, et en emmènent un ou deux pour les manger quand ils ont faim. Notre guide craignait fort une telle rencontre... ».Ce phénomène de brigandage se réfèrent à la région entre le on et la Volga. Ces groupes de guerriers libres évoquent déjà les premiers "cosaques" qui apparaîtront dans les steppes deux siècles plus tard.
Vingt ans plus tard, encore, d'après le manuscrit Siméonov, les Mongols eurent recours à une armée ruthène pour s'emparer le 8 février 1278 de la glorieuse ville iasse de Dédéïakov (Tioutiakov)
La ville n'est pas identifiée précisément, mais elle se trouvait dans la région du Térek, au-delà des hautes montagnes iasses et tcherkesses, près des Portes de Fer
Son nom, même sous la forme slavisée qui nous a été transmise, indique qu'il s'agirait bien d'une agglomération alaine (kov = qaw en ossète qui se traduit par village) on l'a même rapproché de Dzàuidzyqaw (actuellement Vladikavkaz,capitale de la république d'Ossétie-du-Nord-Alanie, en Russie).
Ce qui est important à retenir, c'est la date de cet événement, c'est çà dire quarante ans après le début de la conquête mongole.
Ce serait la dernière évocation d'une résistance ouverte des Alains, mais il fort possible que les Mongols n'aient jamais pu contrôler réellement certaines zones montagneuses du Caucase.
A la fin du XIIIème siècle, 10000 Mongols étaient encore cantonnés dans le 'pays des Asses'
On est peu renseigné sur la vie intérieure de l'Alanie au sein de la Horde d'Or.
Il est certain que les ravages dus à l'invasion de 1238-40, puis aux guerres avec
l'Ilkhanat (Mongols d'Iran), provoquèrent une certaine dépopulation et poussèrent une partie des Alains à se replier vers les régions montagneuses et en particulier dans la haute Ossétie.
Néanmoins, il subsistait une population alaine dans les zones de plaine et de piémont, et les villes continuaient à vivre.
Les styles alains et bulgares ont exercé une certaine influence sur la céramique de la Horde d'Or aux XIIIème et XIVème siècles, notamment dans les motifs ornementaux.
Les "occupants" étaient nombreux surtout aux points stratégiques, comme à Verkhniï Djoulat où une forte garnison fut installée après le raid ilkhanide de 1324-25.
Le reste du pays était toujours administré par des roitelets alains vassaux du khan.
Il y pesait le même "joug tatar" que sur la Ruthénie :
- Une lourde fiscalité (la population fut recensée en 1254 dans ce but, d'après les chroniques arméniennes et géorgiennes).
- Le trafic d'esclaves.
- L'obligation de fournir des troupes à l'armée du khan.
En 1380, à la
bataille de Koulikovo, l'armée de la Horde d'Or, battue par Dimitri Donskoï, comprenait encore un contingent 'asse' (Alains).
Cette obligation militaire pouvait être extrêmement contraignante : dans la Géorgie voisine, 20 % des hommes étaient ainsi mobilisés.
Des Alains s'établirent en différents points du territoire de la Horde d'Or, non seulement comme captifs, mais aussi comme fonctionnaires ou responsables militaires.
Dès 1246, Jean de Plan Carpin avait ainsi eu maille à partir avec un Alain nommé Michée, préfet de Kaniv, une localité voisine de Kiev.
Le chef mongol
Nogaï installa probablement, dans les années 1290, de nombreux Alains en Ukraine du Sud-Ouest, entre le Dniestr et le Prout.
En 1276, l'évêque Théognoste de
Saraï, capitale de la Horde d'Or sur la Volga, signalait l'arrivée d'Alains dans son éparchie ( une éparchie est un 'diocèse nomade' responsable des Tatars chrétiens dans les steppes russes).
En 1333, à Saraï, capitale de la Horde d'Or,
Ibn Battoûta signale des Asses musulmans, qui disposaient, comme les autres ethnies présentes, leur propre quartier dans la ville.